Le Conseil constitutionnel a outrepassé ses prérogatives et n’a pas dit le droit, par Mamadou Sy Tounkara
Le Conseil constitutionnel est une création allemande de 1950; la France l’a adopté dans sa Constitution de 1958; le Sénégal l’a copié-collé en 1992.
Ses missions sont de deux ordres : s’assurer de la conformité de tous les lois et règlements avec la Constitution et être l’arbitre du jeu électoral. La Constitution elle-même est l’affaire du peuple souverain qui la vote par referendum et l’amende, au besoin, par ses représentants. Le texte fondamental est sans équivoque : « la souveraineté nationale appartient au peuple sénégalais qui l’exerce par ses représentants ou par la voie du referendum » (article 3 de la Constitution du Sénégal). Lorsque le peuple constituant souverain adopte une constitution par la voie du referendum ou l’amende par ses représentants, le Conseil constitutionnel en prend acte comme loi de la République et s’assure que tous les lois et règlements lui seront dorénavant conformes, dans la lettre et dans l’esprit.
Le Conseil constitutionnel a ainsi outrepassé ses prérogatives. Il n’a ni mandat ni vocation à censurer la volonté du peuple souverain qui l’exerce par le vote à la majorité des 3/5 des députés. Il doit plutôt s’assurer du respect de toutes les règles et procédures lors du vote d’une loi constitutionnelle.
Le Conseil constitutionnel n’a pas dit le droit, non plus. Le président de la République a pris le décret abrogeant celui convoquant le corps électoral en invoquant l’article 52 de la Constitution qui lui confère des « pouvoirs exceptionnels en cas de menace grave sur les institutions ». La menace grave ici est la crise de compétence et de confiance sur ce même Conseil constitutionnel qui a laissé passer deux candidatures anticonstitutionnelles, dont deux de ses membres sont accusés de corruption et qui fait l’objet d’enquête parlementaire/information judiciaire. Crise ne peut être plus grave que l’arbitre du jeu électoral soit aussi décrié.
L’Assemblée nationale a plein droit de voter une loi constitutionnelle amendant la Constitution et réaménageant le calendrier électoral en vertu de ces circonstances exceptionnelles. Elle est l’émanation et la représentation du peuple souverain dans notre système politique, qui est une démocratie représentative.
Rien de tout cela n’est illégal ou contraire à la Constitution.
Déni d’incompétence ? Vendetta institutionnelle ? Peur de la clameur populaire ?
Un problème de fond demeure constant. L’incompétence du Conseil constitutionnel, arbitre du jeu électoral, qui l’a poussé à valider des candidatures anticonstitutionnelles et l’accusation de corruption de deux de ses membres qui fait l’objet d’une enquête non encore élucidée.
La concomitance de l’existence d’une Cour suprême et d’un Conseil constitutionnel est une bizarrerie sénégalaise que je souligne depuis 2016. Ni l’Allemagne, ni la France, ni les USA n’ont en même temps les deux juridictions. Il est temps de mettre fin à cette anomalie.
Mamadou Sy Tounkara